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Le 22 janvier 1951
LA FONCTION DU
MENTAL
LA COMPRÉHENSION DU POINT DE VUE DE L'AUTRE
Cet entretien est basé sur le texte de la Mère
intitulé "La Science de vivre". (Éducation, pp. 5-8)
"Le mental n'est pas un instrument de connaissance; il lui
est impossible de trouver la connaissance, mais il doit être mis en mouvement
par elle. La connaissance appartient à un domaine beaucoup plus élevé que celui
de la mentalité humaine, bien au-dessus de la région des idées pures. Le mental
doit être silencieux et attentif pour recevoir la connaissance d'en haut et pour
la manifester; car il est un instrument de formation, d'organisation et
d'action; et c'est dans ces fonctions qu'il prend sa pleine valeur et sa réelle
utilité. "
Le mental est "un instrument de formation, d'organisation et
d'action". Pourquoi ? Le mental donne une forme aux pensées. Ce pouvoir de
formation forme des entités mentales avec une vie indépendante du mental qui les
a formées — elles agissent comme des êtres au moins semi-indépendants. On peut
former une pensée et elle peut se déplacer, aller trouver quelqu'un, répandre
l'idée qui est en elle. Il y a une substance mentale comme il y a une substance
physique et, dans ce domaine-là, le mental peut émettre d'innombrables formes et
on peut objectiver ces formes et les voir, et c'est là une des explications les
plus courantes des rêves. Car, quand on est actif et que les yeux physiques
voient physiquement, il y a des gens qui peuvent en même temps voir mentalement.
Mais quand on dort, les yeux sont fermés, le physique est endormi et le vital et
le mental deviennent actifs.
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Dans le domaine mental, toutes les formations
que le mental a faites, de véritables "formes" qu'il a données aux pensées,
reviennent et se présentent à vous comme venant de l'extérieur et vous donnent
des rêves. La majorité des rêves, c'est ça. Il y a des gens qui ont une vie
mentale très consciente et qui peuvent aller dans le domaine mental et s'y
mouvoir avec la même indépendance qu'on a dans la vie physique, c'est-à-dire
avoir des nuits objectives mentalement. Mais la plupart des gens ne sont pas
capables de ça — c'est leur activité mentale qui continue durant leur sommeil et
qui prend des formes, et ces formes produisent pour eux ce qu'ils appellent des
rêves.
Il y a un exemple très fréquent — il est amusant parce qu'il est
un peu vif, n'est-ce pas ! Si pendant la journée vous vous êtes querellé avec
quelqu'un, vous avez envie, peut-être, de lui donner des coups, de lui dire des
choses très désagréables... Vous vous contrôlez, vous ne le faites pas, mais
votre pensée, votre mental a travaillé et quand vous dormez vous avez tout d'un
coup un rêve terrible : quelqu'un vient vers vous avec un bâton, et vous vous
donnez des coups et vous avez une véritable bataille. Et quand vous vous
réveillez, si vous ne savez pas, si vous ne comprenez pas ce qui est arrivé,
vous vous dites : "Quel rêve désagréable j'ai eu !" Mais en réalité, c'est votre
propre pensée qui est revenue vers vous comme ça... Alors méfiez-vous quand vous
rêvez que quelqu'un est méchant avec vous ! D'abord, il faut se dire : "Mais
est-ce que je n'ai pas eu une mauvaise pensée contre lui ?"
Les pensées sont de véritables entités qui, généralement,
persistent jusqu'à ce qu'elles soient réalisées. Il y a des gens qui sont
obsédés par leurs propres pensées. Ils pensent quelque chose et la pensée
revient et tourne dans la tête comme si c'était quelque chose du dehors. Mais ce
sont leurs propres formations qui reviennent ainsi constamment et se cognent
contre leur formateur, c'est-à-dire le mental. Ça, c'est un aspect. Vous n'avez
jamais eu l'expérience d'une pensée qui prend la forme de mots, d'une phrase
dans votre tête, et ça vient et ça revient ?
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Mais si vous êtes assez habile pour prendre un papier et un crayon et
l'écrire, c'est fini — ça ne revient plus, vous l'avez mise en dehors de vous.
La chose a eu la petite satisfaction d'une manifestation suffisante et elle ne
revient plus.
Et une chose beaucoup plus intéressante : si votre pensée est
mauvaise, si elle ne vous plaît pas et qu'elle vous dérange, vous l'écrivez avec
beaucoup d'attention, très soigneusement, en y mettant autant de conscience et
de volonté que vous pouvez; vous prenez ensuite le papier et, en vous
concentrant, vous le déchirez avec la volonté que la pensée soit déchirée de la
même façon. Comme ça vous pouvez vous en débarrasser.
Le mental est un instrument d'organisation. Dans le domaine
extérieur, il y a des gens qui ont un mental lui-même organisé, qui ont organisé
leurs propres idées (et notez que ce n'est pas une chose très fréquente !),
leurs propres pensées; mais si vous regardez au-dedans de vous, vous verrez que
vous avez des pensées très contradictoires et si vous n'avez pas pris soin de
les organiser, elles cohabitent pour ainsi dire dans votre tête et elles y font
un désordre complet.
Par exemple, j'ai connu quelqu'un qui pouvait en même temps
avoir dans sa tête les idées les plus mystiques et les idées les plus
positivistes, c'est-à-dire les idées les plus matérialistes, les négations de
tout ce qui n'est pas purement la matière; tout ça notait pas organisé et cette
personne était constamment ballottée d'un côté à l'autre dans une confusion
constante. Notez que je ne désapprouve pas que l'on ait toutes ces idées : c'est
bon de pouvoir regarder les choses de tous les côtés à la fois, et comme nous
avons dit l'autre jour, il y a un moyen de concilier les idées les plus
contraires, mais il faut en prendre la peine : il faut les organiser dans sa
tête, autrement on vit dans un chaos. J'ai remarqué une autre chose : les gens
qui ont du désordre dans leur tête gardent leur chambre et leurs affaires dans
un désordre analogue. J'ai vu des gens qui n'avaient aucun ordre dans leur
esprit et si vous ouvrez un tiroir de leur commode ou de leur armoire,
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c'est une confusion effroyable — tout est pêle-mêle. Il y a des
gens qui sont intelligents et qui ont des papiers sur lesquels ils écrivent des
notes — des auteurs par exemple , mais si par hasard ils ont besoin d'un de ces
papiers, ils doivent passer une heure à le chercher en tournant tout sens dessus
dessous ! Ou ils trouvent le papier dans la corbeille à papier ou dans le tiroir
où on met les mouchoirs. Enfin, c'est comme ça, n'est-ce pas !
Il y a des gens qui ne sont peut-être pas très intelligents,
mais qui ont pris la peine de mettre en ordre les quelques idées qu'ils ont; si
vous ouvrez une armoire, vous verrez qu'ils ont très peu de choses, mais ces
choses sont bien rangées, bien en ordre, parce qu'ils ont organisé les choses
matérielles de la même façon qu'ils ont organisé leurs pensées. Le mental est
donc un instrument d'organisation.
Ceux qui ont le pouvoir d'organisation peuvent d'abord organiser
leurs petites affaires personnelles, ensuite leur vie et les événements de leur
vie; ils ont peut-être la responsabilité d'un certain nombre de gens : ils
peuvent organiser une entreprise, une école, n'importe quoi, n'est-ce pas; ou
s'ils ont le pouvoir gouvernemental, ils peuvent organiser un pays. Il y a des
gens qui ont ce pouvoir d'organisation et d'autres qui ne l'ont pas.
Je vais vous donner un exemple de quelqu'un qui avait ce don
d'organisation. C'est une histoire ancienne et on peut toujours raconter les
histoires anciennes, n'est-ce pas ! J'ai connu Sir Akbar Hydari qui était
d'abord ministre des finances de Hyderabad et, après, son premier ministre.
Avant lui, les finances de Hyderabad étaient dans ce chaos dont j'ai parlé et le
gouvernement était toujours en déficit. C'était un pays riche qui n'aurait pas
dû être dans cette condition. Alors, Sir Akbar est arrivé; il est devenu
ministre des finances et, dès la première année, ils ont eu quelques lakhs de
bénéfice et tout était si merveilleusement organisé que c'était peut-être un des
seuls pays au monde où les gens n'avaient pas à payer de taxe...
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Ils
ne payaient ni taxes ni impôts et jamais l'État n'était en défie et cela a duré
tout le temps qu'il était ministre. Mais il est tombé malade, il a été obligé de
s'en aller; finalement il est mort. Il a été remplacé par quelqu'un qui n'avait
pas son don d'organisation et immédiatement, dès la première année, ils avaient
de nouveau 17.000 lakhs de déficit !¹.C'était
le même pays, n'est-ce pas, avec le même rendement, les mêmes gens, mais le
merveilleux don d'organisation de Sir Akbar n'y était plus. Ça, c'est une
histoire vraie. Il y a très peu de gens qui ont ce don.
C'est comme si vous aviez un très grand nombre de choses
disparates en face de vous : en faire toutes les combinaisons possibles
prendrait un siècle. Il y a des gens qui n'ont pas besoin de faire cela — ils
ont la vision, ils savent immédiatement où placer les choses et établir un
rapport d'organisation entre elles, afin de créer quelque chose d'ordonné et
d'organisé. Il est indispensable dans la vie d'avoir cette capacité
d'organisation; et si vous voulez apprendre à organiser, commencez par organiser
votre tiroir et vous finirez par organiser votre tête ! Ce sont les deux choses
que certains doivent faire. Il faut d'abord voir les idées dans votre tête avant
de pouvoir les organiser — en tout cas vous pouvez voir vos mouchoirs et vos
costumes ! Mais vous verrez qu'il faut y appliquer un soin pour arriver à un
arrangement intelligent — ne pas mettre les choses dont vous vous servez tous
les jours sous les choses que vous utilisez une fois par mois !
Le mental est aussi un instrument d'action. Les pensées forment
les plans. La pensée forme le plan d'action et, avec cette formation dont je
vous parlais d'entités indépendantes et agissantes, elle met en mouvement les
autres parties de l'être (le vital et le physique) et les pousse vers une
action.
¹Cette somme
semble trop élevée. Il se peut qu'une erreur se soit glissée dans le chiffre
communiqué à Mère, ou que ses paroles aient été mal transcrites.
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Il arrive
souvent, n'est-ce pas, que vous ayez une pensée vers une action quelconque; vous
ne la faites pas immédiatement, mais la pensée qui veut se manifester dans cette
action revient sans cesse. Vous entendez peut-être dans votre tête les mots :
"Il faut que je fasse ça, il faut que je fasse ça", jusqu'à ce que vous lâchiez
tout et que vous fassiez ce que vous avez "pensé". Eh bien, ça c'est le pouvoir
d'action du mental. Avant de l'avoir, il faut apprendre à organiser, à
harmoniser et à maîtriser votre mental. Mais quand on a ce pouvoir, on peut
commencer à agir volontairement, tandis que la plupart des gens sont ballottés
par des pensées dont ils n'ont même pas suivi la formation.
Il y a beaucoup de gens dont les pensées viennent de dehors, qui
n'ont pas pris le soin d'organiser leur mentalité qui est une sorte de place
publique. Alors toutes les pensées qui viennent du dehors s'y rencontrent; il y
a parfois des batailles, on ne peut plus bouger, on n'y voit pas clair, etc. Il
y a aussi des gens qui sont dans un état mental plus ou moins atone. Tout d'un
coup, ils se trouvent en face de quelqu'un dont le mental est bien organisé et
ils commencent à penser clairement, et des choses qu'ils ne savaient pas une
minute avant. Il y en a d'autres, au contraire, qui normalement pensent très
clairement, ils savent exactement ce qui se passe dans leur tête. Mais ils
arrivent en face de certaines gens et tout devient confus, vague, embrouillé,
ils n'arrivent pas à attraper le fil de leurs pensées et ne savent plus ce
qu'ils veulent dire. Ce sont les effets de la contagion et cette contagion
mentale est constante. Il y a très peu de gens qui ne reçoivent pas des pensées
de dehors. J'ai connu des gens — beaucoup — qui, par exemple, avaient une foi
très forte, voyaient très clair en eux-mêmes, savaient très bien ce qu'ils
voulaient faire, etc. Mais ils se trouvaient au milieu d'autres gens, ils
essayaient d'attraper tout ça, ils voulaient l'exprimer, mais ils ne le
trouvaient plus ; cela avait été remplacé par quelque chose qui bougeait dans
une sorte de confusion semi-obscure et ils se sentaient incapables de formuler leur pensée qui était
auparavant très claire.
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Il y a un autre phénomène qui est considéré comme un phénomène
spirituel, mais qui est spirituel seulement d'une façon indirecte : c'est quand
vous vous trouvez à côté de quelqu'un qui a maîtrisé la pensée en lui et qui a
le silence mental, vous sentez tout d'un coup ce silence descendre en vous, et
une chose qui vous était impossible une demi-heure avant devient tout d'un coup
une réalité. Ça, c'est un phénomène assez rare.
"Une autre habitude qui peut être profitable au progrès de la
conscience, consiste, lorsqu'on est en désaccord avis quelqu'un sur un sujet
quelconque, une décision i prendre, une action à accomplir, à ne jamais rester
enfermé dans sa propre conception, son propre point k vue. Au contraire, il faut
s'efforcer de comprendre li point de vue de l'autre, de se mettre à sa place, et
m lieu de se disputer ou même de se battre, il faut trouver la solution qui
puisse raisonnablement satisfaire les deux ; parties : il y en a toujours une
pour les gens de bonne volonté. "
Je dis ça surtout pour les gens d'action qui ont une pensée S
directe et formatrice, très active, dynamique. Ils voient les choses g, d'une
façon linéaire et c'est nécessaire pour agir; ils voient qu'une 1 chose doit
être faite "comme ça". Une autre personne peut avoir une pensée aussi
dynamique et dire : "Non, ça doit être fait comme ça." Donc on se dispute, on
n'arrive pas à se mettre d'accord. Mais on peut se taire une minute et regarder
la chose calmement. L'autre personne n'est pas nécessairement de mauvaise
volonté — son point de vue peut être vrai ou partiellement vrai —, il s'agit de
savoir pourquoi elle pense comme ça, ' Alors, on s'arrête, on réfléchit et on
essaye de s'identifier avec le point de vue de l'autre, de se mettre à sa place,
de se dire :
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"Il a peut-être une raison pour penser comme ça, et elle est peut-être meilleure que la mienne." Et, de cette façon, il faut tâcher de trouver la
solution qui peut raisonnablement satisfaire les deux partis. Ça, c'est très
important quand il s'agit d'affaires matérielles. Chacun, naturellement, ne voit
que son point de vue personnel et son point de vue personnel est toujours
intéressé. On a beaucoup de peine à admettre un autre point de vue, car ce point
de vue peut vous être "detrimental" [préjudiciable]. Ceci est une vérité absolue
quand il s'agit de nations. Si les nations, au lieu de se disputer
continuellement pour des choses qui sont évidentes et de soutenir leur propre
intérêt et de ne voir que leur angle personnel, c'est-à-dire l'angle de la
personnalité nationale, si au lieu de faire tout ça, elles tâchaient de
comprendre que chaque nation a son droit de vivre sur terre et qu'il ne s'agit
pas d'enlever ce droit, mais de trouver un compromis qui peut satisfaire tout le
monde... Il y a toujours une solution, mais à une condition (pas pour
trouver la solution, mais pour la mettre en pratique), c'est que les individus
et les nations soient de bonne volonté.
S'ils n'ont pas de bonne volonté, s'ils savent parfaitement bien
qu'ils ont tort mais cela leur est absolument égal, s'ils veulent leur intérêt
même s'ils ont tout à fait tort, alors il n'y a rien à faire — il n'y a qu'à
laisser les gens se battre et se détruire réciproquement. Mais si, au contraire,
il y a bonne volonté réciproque, il y a toujours une bonne solution.
Pouvez-vous définir "compromis"' ?
C'est une solution intermédiaire. Ce n'est pas toujours le juste
milieu. Il faut trouver une sorte d'harmonisation.
Je vais vous raconter une autre histoire, celle d'un marchand
qui partait en voyage et qui dit à son voisin : "Je pars, je ne sais quand je
reviendrai... Gardez-moi ce grand pot, je le reprendrai quand je reviendrai."
Après quelque temps, le voisin a été tenté d'ouvrir le pot
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— il l'a fait et il a trouvé sous une
épaisse couche de poussière... des pièces d'or ! Cela représentait pour lui une
grosse tentation ; il commença à se dire : "Peut-être que mon ami est mort,
peut-être qu'il ne reviendra plus... à quoi ça sert de garder tout cet argent
là-dedans ? Et justement, j'ai tant besoin d'argent !" Alors il en prend, un
peu, encore un peu, beaucoup jusqu'à ce que tout l'or qui était dans le pot soit
parti. Les olives qui cachaient l'or étaient pourries, n'est-ce pas, et il les a
jetées.
Alors, voilà le marchand qui revient et qui dit à son voisin :
"Rends-moi mon pot." Quelques jours plus tard, le voisin rend le pot tout
couvert de poussière, comme il était avant. Le marchand ouvre le pot et trouve
seulement des olives fraîches, tout l'or est parti. Il va chez le juge et
explique ce qui est arrivé. Mais le juge dit : "Comment est-ce que je puis être
sûr que tu dis la vérité ? Peut-être le voisin est sincère." Ils se disputaient
et ne pouvaient trouver une solution. Le marchand, qui avait mal à la tête, se
disait : "Je vais me promener en ville ce soir." Il est donc allé à travers la
ville et, tout d'un coup, il voit des enfants qui étaient en train de jouer et
ils avaient un pot : il y avait aussi le marchand, le voisin et le juge ! Le
juge disait au voisin : "Ouvre-moi ce pot. Mais je ne vois que des olives
fraîches ! Depuis combien de temps le marchand était-il parti î" — "Depuis deux
ans et demi." — "Vraiment ? Alors vous n'avez pas pu garder les olives fraîches
pendant si longtemps ? Vous n'avez pas par hasard enlevé ce qui était dans le
pot pour le remplacer par les olives fraîches ?" Le voisin s'enfuit. Le marchand
se disait : "Eh bien, ces enfants sont beaucoup plus intelligents que moi, ils
ont trouvé la solution immédiatement," Il est donc retourné chez son voisin pour
lui poser les mêmes questions et, naturellement, celui-ci n'avait plus rien à
dire et a été obligé d'admettre la vérité.
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